WINTZENHEIM.HISTOIRE

Saint-Gilles et Colmar

d'après Auguste Scherlen


St Gilles et Colmar

D'après une conférence tenue à Wintzenheim le 19.06.1927.

Quel ami des Vosges ne connaît pas St Gilles qui se love au pied du château construit sur le Blicksberg au début du 13ème siècle ? Qui ignore que, la nuit, la dame blanche descend de la Pflixburg pour rejoindre les rives de la Fecht en passant par les prés émeraude ? Cette fée n'est-elle pas l'épouse du bailli Conrad Wernher de Hattstatt, née Stéphanie, comtesse de Ferrette, qui expira là-haut en septembre 1276 et trouva son dernier repos chez les sœurs d'Unterlinden, où, plus tard, l'a rejoint son mari ?

La châtelaine enchantée se rappelle certainement les bons et les mauvais jours que vécut, à travers les siècles le grand domaine. Il y a peu de temps, elle me conta le sort de St Gilles, lors d'une de mes visites à la ruine de la Pflixburg

En l'an 959, l'empereur Otton fit don d'une moitié des biens et droits faisant partie du fisc de Colmar au frère de son épouse, le duc Rodolphe de Bourgogne qui en dota, avec sa sœur Adélaïde, l'abbaye de Payerne en pays de Vaud (Suisse) que leur mère avait fondée. Il ressort d'actes postérieurs que la cour de Payerne n'était autre que le Oberhof où cette abbaye fonda le prieuré bénédictin de St Pierre, qui se trouvait à l'actuel emplacement du lycée Batholdi.

Le pape Eugène III confirma, le 26.02.1148 les possessions du Couvent, en particulier les legs du noble duc Rodolphe notamment la cour de Colmar et la cour seigneuriale de St Gilles (curia dominicalis) avec les cens, ban et droits qui en dépendaient et tous les champs et vignes que Vitelinus, le Meyer (1) de l'abbaye, et un autre Meyer nommé Tieterius y ajoutèrent.

1) Pour les noms allemands et leur correspondance, voir Annuaire N° 2, p. 14. Meyer ou meyeur = maire, Hueber = paysan qui a cour et jardin, Schulltheiss = prévôt.

Par cette lettre de confirmation, notre attention est attirée pour la première fois sur la cour de St Gilles qui est administrée par des Meyer.

Selon la légende, Aegidius, Gilles en français, est né en Grèce en 470. Dans l'intention de servir Dieu dans la solitude, il se rendit en Provence et passa un certain temps auprès de St Césaire, évêque d'Arles. Il se retira dans la région d'Uzès où il rencontra un ermite grec du nom de Veredremus dont l'exemple et la vie le soutinrent fortement. De là il se retrouva, suivant la rive du Rhône dans une grande forêt où il se nourrit du lait d'une biche. Des officiers du roi découvrirent sa retraite en pourchassant l'animal jusqu'à la caverne de l'ermite. Le roi, ému par la vie de pénitence et les vertus de l'ermite, défendit de déranger sa solitude et la lui donna en propriété. En 510 un couvent y fut fondé. Cette église devint un lieu de pèlerinage célèbre et le centre d'une ville selon laquelle s'intitulèrent les comtes de Toulouse (2). Egide entreprit un voyage à Rome. Il vécut encore quelques années et jouit de la faveur du roi Childebert.

2) St Gilles du Gard. Il s'agit notamment de Raymond IV de Toulouse dit de St Gilles qui fut un des chefs de la 1ère croisade.

Son nom se répandit très vite en France, en Belgique, en Allemagne jusqu'en Angleterre où on lui dédia 146 églises. St Gilles est aussi le saint patron d'Edimbourg.

L' Oberhof de Colmar possédait non seulement la cour St Gilles, mais aussi le Suzhof dans la partie haute de Wintzenheim et qui fut donné en fief héréditaire en 1252 à Volcard et Methilde et leurs enfants par le prieur Peter de l'Oberhof. En 1269 on parle d'une pièce de vignes située dans le bien de St Pierre devant Husen et la Pflixburg sur la montagne en face de l'église et qui fut donné à Dietrich Loebelin et sa femme Adelaïde par les chevaliers de St Jean de Colmar. A la demande de ces derniers la vigne devait être louée à leur frère lai Heinrich de Wintzenheim par l'Oberhof de Colmar. L'église dont on parle est sans conteste la chapelle St Gilles qui fut cédée avec sa cour dimière en 1281 au prêtre Uldricus par l'abbé de Payerne. Uldricus promit de desservir la chapelle et de fournir annuellement, pendant 8 années, 6 foudres de vin rouge, 5 foudres de vin blanc et la moitié de la récolte de fruits. Après l'écoulement de ces huit années, il fournirait encore un foudre de vin blanc. Il s'engageait en outre de retrouver et confirmer les droits de la cour dimière et de faire restaurer les parties en ruines. Il laissa par acte de donation ses meubles à l'abbé de Payerne, à l'exception de ceux qu'il léguerait, par une expression des dernières volontés, à d'autres.

Le prêtre Uldricus accomplit ses devoirs. Témoin le rôle qui se trouve devant nous. Actuellement on lirait :

« A savoir, que le ban de St Gilles appartenant au prieur et aux seigneurs de l'ordre de Cluni de l'Oberhof de Colmar commence à la vieille carrière de pierre située dans le ban de St Gilles, il s'étend jusqu'au chemin qui va vers Turckheim près de la vieille rivière et de la rivière jusqu'au chemin forestier au-dessus du village de Husen.

Personne ne peut exiger ou supprimer des communaux, ni installer des gardes, ni exercer la surveillance ou la garde sauf les seigneurs susnommés de l'Oberhof de Colmar. »

De droit, aucun recours ne peut être fait lorsque la majorité des Huber de la cour seigneuriale sus nommée, appartenant aux seigneurs de l'Oberhof, ont prononcé une sentence.

Chaque tenancier doit jurer au Meyer de défendre les droits de la cour et d'être un bon Hueber.

Les biens de St Gilles ne payent pas le « Ehrschatz » (droit de succession) mais du vin blanc en guise de cens.

Qui veut vendre son bien censier, doit selon le serment le proposer à la cour qui peut le racheter, à sa guise, moins cher de 5 Schilling que les autres, ou non.

A St Gilles on tient annuellement trois plaids : le lendemain du jour des défunts, 8 jours plus tard et encore 8 jours plus tard. Si le 3 novembre tombe un dimanche, le plaid est remis au lundi. Les Huber peuvent réunir les deux autres plaids, pour que personne ne subisse de dommages. Si le premier plaid se trouve trop proche des vendanges, le Meyer, avec l'assentiment des Huber, peut le retarder de quinze jours, à condition que ni la cour ni les Huber ne subissent de dommages. En cas de nécessité, les trois plaids doivent être tenus.

Au premier plaid, le Meyer doit servir une demi-mesure de vin blanc aux Huber.

Ensuite le Meyer nomme un juge et expose ses doléances pour des cens impayés ou d'autres affaires sur lesquelles on prononcera les sentences. Si le Meyer n'a pas de plaintes ou de griefs à formuler, c'est lui qui jugera. On jugera aussi les plaintes des Huber.

La peine ou l'amende est de 2 Schilling à chaque plaid. Un Huber qui sera absent sans l'autorisation du Meyer à 3 plaids, payera 6 deniers aux Huber.

Celui qui ne paie pas le cens, est puni par le prieur ou le Meyer à chaque plaid.

En cas d'arriéré de cens on confisquera le bien seulement après 9 plaids. Le bailli de la Pflixburg est le protecteur du prieur et du Meyer, pour les biens recensés.

Le Meyer peut louer des biens de la cour, en présence de deux Huber. Le locataire donne 2 Pfennig à chaque Huber, pour qu'ils l'aident. Il prête serment immédiatement ou lors du prochain plaid. En cas de descente sur les lieux, pour faire des mesures, les Huber reçoivent 2 quarts (16 litres) de vin et 4 pains blancs. Le Meyer préside ces visites et nomme les aborneurs.

Le bailli de la Pflixburg ne paraît à la cour que s'il est convoqué par le prieur ou le Meyer.

Lorsqu'il est convié, on lui doit 5 Schilling et 1 Pfennig pour une bourse. Le bailli doit avoir un juge dans le village de Husen ou rendre la justice lui-même.

Dans ce règlement de la cour seigneuriale on remarque que l'Oberhof possédait non seulement St Gilles mais encore de nombreuses forêts qui furent cédées partiellement en fief héréditaire à la commune de Wintzenheim en 1289. On remarque :

- une parcelle dans la vallée entre les châteaux de Wasserbourg et de Soultzbach ;

- une deuxième parcelle dans le « Geissenthal », pour un cens annuel de 14 mesures de vin rouge ;

- une troisième parcelle dans le « Gaspach » et une quatrième dans le ban de Wintzenheim contre 10 mesures de vin rouge et enfin un chemin par le « Müllersack » pour 1 mesure de vin rouge.

Ces forêts semblent être devenues propriété de la commune de Wintzenheim et devinrent dès 1302, l'objet d'un litige avec Soultzbach. Les sires de Hattstatt, seigneurs de Soultzbach avec l'abbé Bechtold de Munster décidèrent que les deux communes posséderaient dorénavant en commun la forêt située sous Wasserbourg à droite de Soultzbach ainsi que celle du Staufen. En revanche Wintzenheim donnait droit de pâture aux gens de Soultzbach. Le contrat fut vite oublié. Ainsi, le mercredi après Pâques (8 avril) 1355, les seigneurs de Hattstatt, représentant la commune de Soultzbach accompagnés des représentants de Wintzenheim et quelques juges impartiaux se retrouvèrent à St Gilles sous le Blicksberg. On se mit d'accord sur l'observation du contrat de 1302. La forêt appelée « Steibiche » que Wintzenheim avait possédé jusqu'à ce moment en tant que communaux sera elle aussi partagée : la partie située vers Soultzbach servira de communaux collectifs et l'autre moitié de bois seigneurial.

Au temps de ce contrat, St Gilles était un prieuré. Les administrateurs successifs furent Frère Guido (1218-38), Pierre von Bussy (Bricienne) (1397), Conrad Ramung (1385), Jean Cathi (1420).Ces prieurs étaient en même temps suppléants ou administrateurs de l'Oberhof de Colmar.

Le frère Siegfried Küsspfennig, prit en ferme les biens de St Gilles de la part de l'économe de l'Oberhof en 1312. En 1328, le noble Sigfried Ungut de St Gilles loua des prés et d'autres terres près du village de Husen. Ces terres avaient appartenu aux sires de Ruchsheim.

Les sentences de la cour seigneuriale de St Gilles sont intéressantes pour le chercheur. Remarquable est le jugement du 4 janvier 1392 qui fut prononcé suite à une session du 28 décembre. Une plainte fut déposée par Wilhelm Sieche, bourgeois de Rouffach, à l'encontre du bourgeois de Turckheim, Hasemann de Wihr, à cause d'une pièce de vignes d'un demi Schatz au « Husenberg » et de 2 Schatz « uff dem Thalwege » dans le ban de St Gilles. Le plaignant avait fait bannir son adversaire par le tribunal laïque, St Pierre porta l'affaire devant le tribunal religieux de Bâle qui la renvoya à la cour domaniale. Cette dernière renvoya le plaignant. Le bailli impérial de Turckheim, Werdelin Hadestat scella le jugement prononcé en présence de plusieurs témoins de Turckheim et d'ailleurs. La veuve de Claus Züricher de Turckheim, dame Grede, vendit en 1397 2 Juchert de vignes situés « am Husenberge » dans le ban de St Gilles au prieur du lieu demeurant à Colmar. Cette terre était redevable de 2 mesures de vin rouge à la cour de St Gilles. Elle sera cédée en 1379 à Henin Züricher et Hartmann von der Gassen de Turckheim par le couvent d'Unterlinden. En 1420, Clewelin Humeli, bourgeois de Turckheim, échangea avec le prieur et le couvent de St Pierre de Colmar et de St Gilles quelques pièces de terre qui avaient été données à ce couvent par Clawelin Spaller et sa femme Anna. Le même bourgeois reçut du prieur de St Gilles deux pièces de terre « oben an der Muren in Husevelde » entre le ruisseau et le talweg et tenant au « Kurtzenacker ». Il donnait pour cela 3 setiers de grain annuellement.

A partir de 1429, le prieur de St Gilles est Georges Brunery de Morat. En 1430, le tribunal de Colmar, sur demande du prieur décide que Siegfried Gerter de Husen continuera de payer une rente de 4 Schilling à St Pierre. Ses parents avaient fondé cette rente sur des champs « uff den Colmarwege » pour le salut de leurs âmes. Le même tribunal décidera en 1431, que Cuontzli Rotmann de Wintzenheim, Huber de la cour de St Gilles paierait des cens pour des biens situés à Wintzenheim (an der Sliffe) (3), de vignes à St Gilles (in dem Garten, uff den Husenweg) etc. La même année, le susnommé prieur fit un procès à Rudolf von Wegesod, à l'abbé Claus de Marbach etc. pour des cens du ban de St Gilles. Le curé de Wintzenheim déclara que le cens du ban de St Gilles appartenait uniquement au prieur de St Gilles. Le procès de 1431 alla jusqu'à Rome. C'est sans doute à cette occasion que l'empereur Sigismond établit une lettre de droits et de protection pour le prieuré de St Gilles le 27 novembre 1433. Le prieur du couvent de St Gilles, Georg de Morat défendit les intérêts de la maison en d'autres circonstances contre le couvent d'Unterlinden de Colmar (1436), Heintz Rinckenbach de Wintzenheim (1445) etc. Il existe une liste de tous ceux qui paient un cens au prieur pour St Gilles en 1451-52. On y trouve entre autres Johann Swop, de Wintzenheim, frère à Altdorf (Ste Gertrude) à Wettolsheim, Johann Weidhase curé de Wintzenheim. Le village de Wintzenheim devait annuellement 18 deniers pour le chemin « by der alten steinmure » (4) au ban de St Gilles qui conduisait dans la forêt. Hans Hermann de Sainte Croix avait amodié [amodier = louer à quelqu'un moyennant une redevance] le cens de St Gilles et devait livrer annuellement trois quartauds et demi de sarrasin et d'avoine. Un acte de 1458 nous apprend que Henri Reinhard était l'économe du prieur Georg de Morat et d'autres prieurs de St Gilles pendant 40 ans. En tant que tel il recevait des Chevaliers de St Jean une mesure et demie de vin rouge pour une vigne de 3 Schatz située au grand Wartstein. Thenig Migelin fut Meyer de la cour de St Gilles en 1465. La durée du mandat de Georg de Morat nous est inconnue. Dans les annales des Ribeaupierre on apprend que Caspar, sire de Ribeaupierre dota, en 1451 Sassman von Morthen, fils naturel du prieur sus nommé.

3) Aiguiserie, située sur le Logelbach.

4) Près du vieux mur de pierre.

Le livre des miracles de Kientzheim, édité par Buchinger, raconte que le samedi avant la Ste Marguerite 1469, Mathias Weber de Colmar fut enseveli sous un tas de terre en cherchant de l'argile. Son père Hans le recommanda à la mère de Dieu. Pendant cette prière de secours à la Vierge de Kientzheim, voilà qu'apparut le Meyer de St Gilles avec sa femme et son valet. Il dégagea rapidement le garçon sain et sauf.

Les archives sont muettes jusqu'en l'année 1530. La seule mention concerne Jean Kate, prieur de St Gilles en 1490 qui s'accorda avec Claus Spalter.

Le dernier prieur de St Gilles fut Hans Cheurodi. Il était le fils de Hans Cheurodi, bourgeois de Payerne. Entré en 1512 dans l'ordre de Cluny, il fut confirmé et reçut la tonsure des mains de l'évêque de Paris le 9 avril 1518, puis devint acolyte le 18 juin 1519. Il fut consacré sous-diacre (17.12.1519), diacre (24.03.1520), reçu bachelier de l'université de Paris en 1521. Doyen de Payerne, où son père fit son testament le 30 mars 1536, il reçut les prieurés de Colmar et de St Gilles avec obligation de les entretenir. En 1541, Hans Cheurodi obtint confirmation des libertés et biens de St Pierre et St Gilles de la part de l'empereur Charles Quint. Les prieurés furent mis sous la protection spéciale de l'empereur. Cette charte fut la base lors des procès qui opposèrent le prieur à la commune de Wintzenheim pour des droits de pacage et des litiges forestiers. En 1555, le forestier de Hans Cheurodi fut fait prisonnier sur ordre d'Egenolf de Ribeaupierre : on voulait l'obliger à user de la justice de Wintzenheim. Le prieur le défendit.

Richard Merck fut nommé frère à St Gilles le 19 avril 1555 avec obligation d'entretenir l'ermitage, de garder le ban et les arbres, dénoncer les abus et percevoir les amendes. Tous les ans il devait élaguer les arbres et en planter des nouveaux. Il avait à ramasser les pommes, les poires et les noix, à percevoir le cens et à livrer le tout à St Pierre. Il pouvait garder la paille pour sa peine. Il fallait surveiller les abeilles et les ruchers, ne tolérer aucun étranger, garder les valets engagés, nettoyer les gravières.

Merck n'avait pas le droit d'entretenir des chèvres qui pouvaient endommager les arbres, il ne pouvait pas non plus donner des pierres sans le consentement des Colmariens. Son logis était l'ermitage. Il pouvait se servir en bois sec pour le chauffage et exploiter les prés, champs, vignes et jardin potager. Il devait percevoir 8 deniers par voiture et 4 deniers par char à deux roues pour l'herbe qu'on chercherait dans le ban. Pour salaire il percevait 5 Schilling par livre sur les amendes et 3 quartauds de blé. Cette lettre d'engagement ne parle pas d'un Meyer ; en effet, au 15ème siècle, la cour seigneuriale était tombée dans l'oubli et la commune de Wintzenheim surveillait le ban de St Gilles. En 1544, on délimita un secteur au « Cloesterli » à l'usage privé du couvent et du prieur de St Pierre, mais qui après la moisson servait de pâture. Le reste du ban, quoiqu'il appartint à la cour dimière resta propriété de Wintzenheim. Dorénavant il y aura un secteur de St Gilles et un ban du même nom.

Wintzenheim exerçait les droits seigneuriaux dans le ban de St Gilles et protégeait aussi le secteur de St Gilles. Un garde champêtre fut engagé pour surveiller le ban. Les délits forestiers et délits de chasse que le bangard et aussi le prieur dénonçaient, étaient jugés à Wintzenheim. La commune devait entretenir les chemins. Le droit de chasse revenait aux seigneurs de Wintzenheim et au prieur de St Pierre. Les bestiaux du frère de St Gilles pouvaient paître avec ceux de Wintzenheim dans tout le ban. Pierre Tullerus, ancien prieur de St Morand vivait en 1546 à Colmar. Il fut chargé par le prieur de Colmar de dire une messe hebdomadaire au sanctuaire de St Gilles. Il le fit pendant près d'une année, il cherchait le vin de messe à Wintzenheim.

Un jour, après l'office, il se promena près de la petite église et vit gambader de nombreux lièvres. Il le signala au prieur et demanda de pouvoir chasser. Le prieur le lui permit en lui faisant remarquer que, n'étant pas chasseur, il ne possédait ni filet ni équipement. Le prieur acheta du fil au demandeur qui en tricota son filet et se rendit à Wintzenheim équipé pour la chasse. Il passa la nuit à St Gilles puis alla chasser. Les gens de Wintzenheim ne s'en formalisèrent pas ; ils ne se plaignaient pas non plus lorsqu'on cherchait du bois en forêt pour St Pierre.

Il y eut dans le ban St Gilles une grande dispute qui eut pour cause l'abattage d'arbres sur ordre du prieur de St Pierre pour la construction de l'église du couvent. Les gens de Wintzenheim, en effet virent disparaître les plus beaux chênes le long de la route située sur leur ban. Les ouvriers du prieur reçurent des coups ; on les amena de force à Wintzenheim, les mit en prison et le tribunal leur imposa de lourdes amendes.

Peu après, Payerne fut transféré, avec ses possessions alsaciennes au doyen de la Ste Chapelle de Chambéry. Ce couvent était subordonné au duc de Savoie. Le duc Philibert Emmanuel le donna à Pierre de Lambert, évêque de Maurienne, qui retira annuellement 100 couronnes de St Gilles et de St Pierre. L'évêque voulant remettre ces prieurés à un religieux, le sire Cheurodi (t 29.8.1570) y renonça en faveur de Berne qui s'en défit en faveur de Colmar en 1575.

Lorsque St Gilles fut transféré à Colmar, le lieu était déjà un pèlerinage renommé. Les pèlerins venaient de la région colmarienne, mais aussi du val d'Orbey, de Lorraine et d'Allemagne. Ils invoquaient St Gilles pour un temps favorable. Le jour de la St Gilles (1er septembre) des processions venaient de Turckheim et d'Ingersheim. Le jour de la St Marc, les paroissiens de Wintzenheim, croix et curé en tête, se rendaient à St Gilles. Ils y écoutaient un sermon et assistaient à la Ste Messe. A cette époque il y avait dans la chapelle de style gothique joliment décorée, deux autels. Le premier était orné d'une statue de St Gilles, l'autre portait une Vierge. D'après la tradition populaire, une niche dans un mur, qui subsiste encore aujourd'hui, hébergeait la statue du St Patron. L'année 1575 apporta de grands changements. Les Colmariens firent détruire l'ermitage et le remplacèrent par une grande maison habitée par un gardien que le peuple appela toujours le « frère de St Gilles ». Le petit couvent fut laissé en ruines. On cassa les vitres et les tuiles : il pleuvait sur les autels. L'autel de la Ste Vierge fut enlevé et remplacé par une réserve de pommes. La pierre d'autel de St Gilles fut brisée et les reliques profanées. L'intérieur de l'église servit de resserre de fruits et de lait et la sacristie fut transformée en porcherie. La tenue des offices était de ce fait impossible. Les pèlerins et les processions s'abstinrent, et lorsque les gens de Wintzenheim venaient suivant la vielle tradition, à la St Marc, ils « chantaient quelque chose et s'en retournaient chez eux ».

Les Colmariens ne se contentèrent pas de la suppression du pèlerinage. Malgré le contrat passé à la mairie de Turckheim, le 21.3.1544, ils ne réclamèrent pas seulement le district mais aussi le ban de St. Gilles. Le garde de St Gilles dénonçait tous les délits forestiers au magistrat de Colmar et se montrait sans pitié lorsque les gens de Wintzenheim ramassaient du bois ou des glands en forêt. Même le jeune comte Jacob Ludwig von Fürstenberg, époux de la fille de Jean Guillaume de Schwendi, fut dénoncé pour chasse non autorisée. Pour rendre impossible le pâturage dans le ban de St Gilles aux habitants de Wintzenheim, le Schultheiss de Colmar fit creuser de profondes fosses à loups. En automne 1602, le vacher de Wintzenheim conduisit les bêtes vers St Gilles et la vache du boulanger Ehrhard tomba dans une de ces fosses. L'animal, sorti de là à l'aide d'échelles et de chevaux, creva peu après.

Les Wintzenheimois, hors d'eux, se portèrent à St Gilles avec pelles et pioches et comblèrent les fosses. Colmar porta plainte au tribunal de Rottweil (Würtenberg) et le procès dura jusqu'en 1627.

Les actes de ce procès sont conservés en partie à Colmar et en partie à Wintzenheim. De ces archives il ressort que les gens de Wintzenheim détruisirent la chapelle du Logelbach qui servait de refuge à la racaille. On se moquait des Wintzenheimois parce que leur jeunesse tenait justice au pré appelé Gauch (5) ou Stiermatt, leur tribunal était appelé Gauch ou Kukuksgericht, tribunal du coucou. Ils répliquèrent que ces jeux avaient autant de raison d'être que les jeux du carnaval des gardiens de chevaux colmariens. C'est Andreas Beck le savant prévôt de Ste Croix, originaire d'Ammerschwihr qui défendit les Colmariens, tandis que les Wintzeheimois étaient représentés au tribunal par Heinrich Vesst. Le plan de St Gilles qui fut dessiné par les peintres Mathias Wuest de Kaysersberg et Johan Knoll de Turckheim, qui a paru dans le tome 1 des « Perles d'Alsace » est conservé aux archives départementales à Colmar.

5) Gauch : ancien nom du coucou, désigne aussi un jeune homme un peu simplet.

Wintzenheim

Ce plan d'abornement daté de 1575 dresse les limites de propriété du prieuré de Saint-Gilles, à l'entrée de la vallée de Munster.  
(plan conservé aux Archives Départementales du Haut-Rhin)

On y voit la chapelle, la cour domaniale, les châteaux de la Hohlandsburg et de la Pflixburg, les dangereuses fosses à loups et le ban marqué de 19 pierres. Les bornes portaient en partie la date de 1575 et les armoiries parlantes du domaine (des lis aussi appelés "Gilgen"). On peut encore rencontrer de telles bornes armoriées et l'une d'entre elles, datée de 1575, se trouve dans un couloir de la ferme.

Ce procès malheureux fut tranché en faveur de Wintzenheim en 1627, par le tribunal d'empire de Spire.

Les archives de Turckheim nous prouvent que les processions reprirent bientôt. Les Turckheimois organisèrent dès 1529 une procession à St Gilles le lundi de Pâques suivant une vieille coutume. Le lieu fut confié en 1638 au bourgeois de Turckheim Michel Span qui se maria à Colmar en 1640. Span, qualifié de garde forestier et de frère dans son acte de mariage, était chargé de garder le ban et de surveiller les pâtures, forêts, champs, prairies, vergers et potagers. Les délits champêtres devaient être signalés au gérant de St Pierre. Span devait surveiller les bornes, soigner les arbres, ramasser les fruits tombés et rendre compte chaque semaine. Lorsqu'il se rendait à Colmar le dimanche, il trouvait table mise parmi les autres serviteurs de la ville au «Wagkeller». Il apportait le gibier tiré au responsable des chasses municipales. Il était payé comme un ouvrier municipal et avait la jouissance des champs, prés et vergers, 2 quartauds de céréales et une part des amendes.

En 1660, une grande agitation régnait à St Gilles. Vendredi, le 17 février 1660 le forestier du lieu, Hans Jakob Hotz, fut tué par arme à feu à 50 pas du ban de St Gilles lors de la poursuite d'un cerf. Il fut enterré le dimanche entre 11 et 12 heures. Son frère Conrad, forestier du Niederwald de Colmar, sa sœur Anna, veuve du soldat Andréas Walch, de la même ville, quelques hommes et pas mal de femmes de Wintzenheim assistèrent aux obsèques. Le frère du défunt fut soupçonné d'être le meurtrier. Conrad Hotz, qui fut nommé forestier à St Gilles en 1684 n'était-il pas le fils de l'accusé ? Son prédécesseur Georges Riessmann a sans doute vu les troupes du maréchal Turenne camper sur les prés de St Gilles avant de marcher vers Turckheim.

En 1714, la seigneurie du Hohlandsberg fut transmise à la ville de Colmar qui en contrepartie dut céder au chapitre cathédral les prieurés de St Pierre et de St Gilles. (23.08.1714).

Les chanoines de Strasbourg s'engagèrent à dire tous les dimanches et jours de fête une messe basse en l'église nouvellement consacrée de St Gilles.

Lorsque St Gilles fut pris en charge par le chapitre, ce dernier fut aussi redevable annuellement de 2 livres, 2 schillings et 3 deniers au bailliage impérial de Kaysersberg pour la protection de St Gilles. Pierre Ruch habita St Gilles en 1717. Le gérant de la seigneurie du Hohlandsberg, lui permit de rassembler des preuves pour un procès contre Claude Tissot de Wintzenheim. Le chapitre amodia les revenus de St Pierre (St Gilles etc.) pour 6 ans au sieur Georges Windholtz pour une somme de 7600 livres tournois. En 1776, l'église de St Gilles était si délabrée qu'on projeta une construction nouvelle. Les plans sont déposés aux archives départementales. La construction, cependant, n'eut pas lieu. L'autel de la Ste Vierge n'existait plus. La statue où l'on grava la date mémorable de 1627, fut placée dans une niche sur la route de St Gilles. C'est à partir de cette niche que le sieur Kesselring v. Thurnburg fit ériger une chapelle dans le milieu du 18ème siècle qui devint plus tard le célèbre pèlerinage « ND du Bon Secours ». Un ermite habita de nouveau St Gilles de 1748 à la Révolution. Il eut pour hôte l'ancien gardien des capucins de Colmar en 1791.

Le 18 juillet 1792, Thomann, ancien garde-chasse et forestier de St Gilles acquit la chapelle par enchères comme bien national pour 120F. Cette dernière redeviendra lieu de pèlerinage de 1803 à 1813.

La ville de Colmar réussit en bonne justice à prouver la nullité du contrat de l'échange de 1714 et à provoquer la révocation par jugement du tribunal de district du 19 mars 1793. Ainsi, la ville recouvra la propriété de St Pierre et de St Gilles.

En 1927 on trouva dans la chapelle de très vielles fresques cachées sous le crépi. Pendant ce temps, la ferme passa par l'entremise de la caisse d'amortissement, à la famille Hanhart qui transforma le bâtiment et qui fonda une école à Colmar. Les forêts de l'ancien ban de St Gilles appartiennent encore en grande partie à la ville de Colmar qui fit reconstruire la maison forestière incendiée le 29 mai 1884, dès 1887. Il est connu qu'elle fut la maison natale de M. Aloyse Meyer conseiller général et ancien maire de Wintzenheim, né le 20 juin 1847.

La statue de la Ste Vierge, celle du saint et un crucifix provenant de St Gilles ornent depuis l'abandon du pèlerinage, la chapelle des grâces de Wintzenheim. Ces souvenirs rappellent à de nombreux pèlerins l'antique couvent des pieux moines bénédictins de Colmar, à St Gilles et à Payerne.

Grâce à la paroisse de Wintzenheim le souvenir de l'antique prieuré de St Gilles se perpétuera.


Annexes concernant St Gilles

XII. Serment du forestier et bangard de St Gilles (17ème siècle.)

Le bangard et forestier de St Gilles jurera :
- d'être fidèle, obéissant et attentionné envers les maîtres, conseillers de la ville de Colmar, qui l'ont nommé en leur qualité de propriétaires de la seigneurie et ses supérieurs de St-Gilles,
- de rechercher et promouvoir leur honneur, profit et intérêt, d'éviter et de prévenir les dommages dans la mesure de ses forces,
- de ne prendre avis dans toutes les circonstances de son activité que du conseil et du tribunal de Colmar,
- de garder fidèlement le ban de St Gilles et les champs, forêts, arbres fruitiers, abeilles et bornes ;
- de se rendre au moins une fois par jour aux bornes et dans la forêt pour prévenir les dommages ;
- de mettre à l'amende les auteurs des délits forestiers ou de les dénoncer au magistrat ;
- de surveiller le gibier dans le ban de St Gilles et de livrer les bêtes abattues au Wagkeller ou au garde-chasse de la ville ;
- de recueillir les fruits et le miel, de ne rien garder pour lui-même et de tout livrer à l'économe ou à son mandataire ;
- de ne pas mener de bestiaux dans les nouvelles coupes avant 3 ans ;
- de demander 8 deniers (ein doppelvierer) par charretée d'argile et de se conformer aux autres obligations de sa charge.

Ce serment a été prononcé par :
- Hans Hâfelin, bourgeois de Colmar le 17 avril 1613
- Dietrich Keinolt, bourgeois de Colmar, le 27 mars 1619
- Anton Oben, de Bourgogne, le 28 octobre 1620
- Johann Elss, de Breisach, le 2 mars 1686

XII. Autre serment du forestier de St Gilles (fin du 17ème siècle)

Le forestier de St Gilles surveillera diligemment le territoire et le ban susdit ainsi que les champs, forêts, prés, arbres, fosses à loup et potagers qui s'y trouvent.
Il fera exécuter les ordonnances.
Il dénoncera ceux qui nuiront à la forêt ou aux terres à l'économe de St Pierre.
Il surveillera les bornes et les maintiendra en bon état. Il élaguera les arbres en automne, les nettoiera au printemps, surveillera les fruits et cueillera chaque espèce en son temps et maturité.
Il ramassera les fruits tombés et les disposera sur des claies jusqu'à ce qu'on les cherche. Si les fruits tombés ou que l'une ou l'autre espèce de fruits précoces ou tardifs sont rares, il les livrera lui-même à la demande.
Il plantera de jeunes arbres ou des sauvageons, les gardera, greffera et soignera.
Il rendra compte toutes les semaines toutes les fois qu'il vient ici (à Colmar) et particulièrement le dimanche, jour où son repas est servi au Wagkeller avec ceux des serviteurs (de la ville).
Il poursuivra le gibier grand et petit avec diligence et le livrera fidèlement contre paiement du droit de chasse, comme convenu avec le chasseur, au Wagkeller.
En somme, il se conduira fidèlement envers la ville de Colmar et ses alliés aussi longtemps qu'il est en leur service, comme il convient à un honnête homme.

Par contre, pour cette surveillance, peine et travail, à côté du paiement du salaire journalier qui lui est dû ainsi qu'à d'autres qu'il engagera sur ordre pendant l'année, il pourra user des champs, prés, jardins sis dans le ban de St-Gilles.
Il touchera aussi six florins pour un habit ainsi qu'un quartaud de blé, un quartaud d'orge avec ses droits sur les amendes qu'il percevra.
Pour cela il fera serment.

Ont prêté ce serment :
- Simon Buhl, bourgeois de Colmar le 1er septembre 1677
- Hans Peter Rauch, le 12 février 1707

(Colmar, archives municipales, livre des serments)

Article paru dans l'Annuaire de la Société d'Histoire de Wintzenheim N° 4 - 2000


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