WINTZENHEIM.HISTOIRE

Les mines de cuivre et d'argent du Vallon d'Aspach


Historique des mines de la vallée de Munster

L'histoire des mines de la vallée de la Fecht remonte au XVe siècle. A cette époque, la vallée (Sanct Gregorienthal) était divisée en deux. Les villages de Luttenbach, Breitenbach, Eschbach, Muhlbach, Hohrod, Stosswihr, Soultzeren, Sondernach, Metzeral étaient dépendants de Munster - ville impériale de la Décapole - alors que le fief de la vallée basse était partagé entre la famille des Ribeaupierre, vassale des Habsbourg (dont la chancellerie régionale se trouvait à Ensisheim) et la seigneurie de Hohenlansberg.

Wintzenheim

Sites miniers dans la Vallée de la Fecht
(carte extraite de l'étude " Patrimoine minier dans le Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges, Propositions pour une politique de préservation et de mise en valeur ", avril 1992)

L'exploitation minière était à son apogée durant le XVIe siècle - jusqu'à la guerre de Trente Ans - pour baisser d'intensité au début du XVIIIe siècle. Concernant les mines d'Aspach, on ne connaît pas l'époque des premiers travaux. Aux Tiroler Landesarchiv d'Innsbruck, se trouve un document datant de 1564 qui stipule que le baron Lazare de Schwendi de la seigneurie de Hohenlansberg possède les droits sur les marchés, les forêts, la chasse et la pêche sur ses terres, mais pas sur les Bergwerksrecht (droits miniers) qui revenaient à l'Archiduc d'Autriche. Ces mêmes archives conservent un écrit datant de 1571, émanant de la Régence d'Ensisheim, qui informe celle d'Innsbruck sur l'exploitation de nouveaux gisements dans la vallée de la Fecht (Sanct Gregorienthal) ainsi qu'au sein de la seigneurie de Hohenlansberg (il s'agit des mines d'Aspach). Dans un registre, on peut relever quelques éléments à propos de la dévolution du gain minier. On peut lire que l'attribution des parts de minerai extrait par quartier se partageait de la façon suivante : chaque mine était divisée en 36 parts, sur lesquelles l'Archiduc percevait 1/4 des parts (Viertel) ou 1/9e (Neuntel), les autres parts revenant aux vassaux et concessionnaires. Selon le règlement minier datant de 1517 qui fut en usage durant le XVIe siècle dans les quatre provinces antérieures d'Autriche, "on paiera les mineurs toutes les six semaines et on rendra les comptes de toutes les mines".

Originalité des mines d'Aspach : une intervention du juge des mines Georg Vogel (Bergrichter) auprès de la Chambre du Conseil d'Ensisheim, demande l'attribution de deux parts seulement à l'Archiduc. Toujours selon ce juge, ces mines présentent du minerai plus riche qu'au Heidenbach.


Dessin tiré de l'ouvrage "De Re Metallica"
réalisé par G. Agricola en 1556

Front de taille
(photo Jean Danner)

Situation et activité

Si d'aventure vous vous promenez près des étangs d'Aspach, non loin de La Forge, poussez la curiosité jusqu'au fond du vallon. Là, en grimpant le versant Est, si vous êtes observateur, vous verrez des reliefs atypiques par rapport à la déclivité. Il s'agit de haldes (tas constitués avec les déchets du triage grossier du minerai à la sortie de la mine) signalant la présence d'un site minier.

Sur ces lieux, des hommes ont travaillé laborieusement. Ils ont creusé dans la roche des galeries (Stollen) à la pointerolle (petit pic à main) et au marteau, en pente douce pour permettre l'évacuation de l'eau de ruissellement. La progression journalière était de 6 cm environ, tout en usant chaque jour 6 à 8 pointerolles par mineur. Ils progressaient en binôme, tandis que l'un excavait la roche à genoux ou assis sur son cuir fessier (longue pièce de cuir protégeant de l'humidité), l'autre suivait en creusant en profondeur la cavité amorcée par le premier (voir photo d'un front de taille d'une galerie d'Aspach, creusée selon la méthode du Sitzort). Ces hommes travaillaient dans des conditions très difficiles, en s'éclairant avec du suif placé dans leurs lampes (petit plateau à manche muni d'une anse) tandis que les décombreurs s'affairaient à retirer la gangue (partie terreuse qui enveloppe le minerai) de la mine. La dite gangue était triée grossièrement pour séparer de la roche stérile le minerai qui était concassé sur des enclumes en pierre (Scheidstein). Par la suite, le minerai trié et sélectionné était pilé et réduit en poudre pour le lavage. 

Les laveurs qui prenaient le relais avaient pour mission de séparer avec minutie dans la poudre qui leur était livrée, le minerai du stérile. L'opération de lavage consistait à étaler le minerai sur une surface de planches légèrement inclinée, de façon à ce que l'eau s'écoule sur le minerai. Celui-ci était remué à l'aide d'un râble (râteau sans dents). Ainsi, l'eau emportait les particules légères, en abandonnant le minerai, plus lourd. Une fois lavé et purifié, il était transporté vers la fonderie, souvent située à proximité.

Ainsi se résume le travail des mineurs. Le but de cet article n'est pas, en effet, de s'étendre sur l'activité des mineurs, mais de faire connaître les mines d'Aspach. 


Mineurs entrant dans la mine avec pointerolles et lampes à suif
Dessin de Heinrich Groff (1529)

Lavage du minerai
Dessin de Heinrich Groff (1529)

Description du site minier

Les vestiges comprennent 9 haldes, 7 entrées de galeries (dont 3 sont accessibles), et 2 Pingens (puits effondrés) et grattages de surface. Nous avons visité deux galeries en forme d'ogive tronquée. L'une s'enfonce sur une trentaine de mètres, et s'arrête sur un front de taille, magnifiquement taillé à la pointerolle. Dans l'autre, nous avons compté une centaine de pas avant de buter sur un éboulement qui doit correspondre au Pingen se trouvant en amont de l'entrée de la galerie. 

Cette excavation minière taillée très haute était sûrement équipée d'un faux plafond en bois, procédé employé pour ventiler la galerie. En hiver, l'air frais pénétrait par la galerie et ressortait par l'espace créé ; la circulation d'air s'inversait en été.

Nous ne sommes pas entrés dans la troisième galerie, trop encombrée. Les travaux de taille rencontrés sont typiques de l'époque de la Renaissance. Le site de lavage devait se trouver près du ruisseau qui coule dans le vallon. N'ayant pas trouvé de vestiges de surface (contrairement à d'autres lieux miniers) le long du cours d'eau, il est fort probable que ces vestiges ont disparu lors de l'aménagement des étangs.


Halde (photo Jean Danner)

Pingen (photo Jean Danner)

La minéralisation

Le filon se trouve vers la cote 400, à 800 mètres au-dessus de la maison forestière d'Aspach. Le faisceau filonien est orienté N-S à NNO à SSE. La minéralisation se compose principalement de cuivre gris (tétraédrite bismuthifère), chalcopyrite, hématite (et galène rarissime) et d'emplectite (Kupfer-wismuthglanz) qui apparaît en petits cristaux noirs prismatiques. Les minéraux d'oxydation sont la cuprite, l'azurite, la malachite, la mixite, et les ocres de bismuth. On y trouve également l'adulaire et la tourmaline. La gangue est composée de quartz fréquemment haché, de barytine, et de carbonates dissous.

La découverte de bismuth fait de ces mines un site original en Alsace. Dans ces mines, vingt quatre espèces minérales ont été dénombrées. Le contraste avec les mines de Zimmerbach dont la minéralisation est proche, est l'abondance de barytine.

Wintzenheim
Cette galerie est creusée très haute et peu large
(photo Jean Danner)
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Galerie taillée à la pointerolle en forme d'ogive tronquée caractéristique du XVIe siècle
(photo Jean Danner)
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Remarquable taille de la partie haute d'une galerie (Stollen)
(photo Jean Danner)

Exploitations récentes

Fin 19e siècle, début 20e siècle (1874-1905), de nombreuses mines ont connu une reprise d'activité, souvent infructueuse. Suite à une demande de concession, une autorisation a été accordée le 28 mars 1901 pour exploiter les mines de cuivre et d'argent de Wintzenheim. 

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Voici la traduction de l'acte publié le 6 avril 1901 :

(194)
En vertu des paragraphes 35 et suivants de la loi minière du 16 décembre 1873, seront par la présente attribuées les concessions de la mine de cuivre et d'argent "JUNO" près de Wintzenheim, ainsi que celle de la mine de cuivre et d'argent "Heidenbach" près de Munster.
Celles-ci seront portées à la connaissance du public avec la remarque que les plans miniers les représentant peuvent être consultés librement chez le Bergmeister impérial (directeur impérial des mines) à Strasbourg.
Strasbourg le 28 mars 1901
Ministère pour l'Alsace-Lorraine, Section de l'Intérieur
I. A. Harff

(I.A.3499)
Au nom de sa Majesté l'Empereur
Suite à la demande de concession du 22 janvier 1901, est attribuée à Madame Joséphine RADU de Sainte-Marie-aux-Mines, sous le nom de "JUNO", la propriété minière sise dans la commune de Wintzenheim, arrondissement de Colmar, d'une surface de 1.999.235 mètres carrés. Les limites de ce champ minier sont indiquées sur un plan certifié par les lettres ABCD.
L'exploitation des minerais de cuivre et d'argent existant dans le dit champ est concédée selon la loi minière du 16 décembre 1873.
Strasbourg le 28 mars 1901.
Ministère pour L'Alsace-Lorraine
Section de l'Intérieur


La faune

Les anciennes mines, où les variations de température sont faibles et l'humidité constante, constituent un biotope-refuge idéal pour une faune peu importante mais très diverse.

L'entrée de la galerie, encombrée par des éboulis et de l'humus, est colonisée par des moustiques (diptères) et des araignées (arachnides). En pénétrant plus dans l'excavation minière, on peut observer des chrysalides, nymphes des lépidoptères (papillons). Cette atmosphère humide est propice à la présence d'amphibiens durant la période hivernale. Dans les poches d'eau, on rencontre des salamandres, voire des grenouilles et des crapauds.

Sont également hôtes de ces mines les chauve-souris qui s'y réfugient pendant l'hiver. Ces mammifères volants s'accrochent aux parois ou se cachent dans des anfractuosités de la roche.

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Entrée d'une galerie (photo Jean Danner)


Lexique des termes minéralogiques

Azurite, Cu3 (CO3)2 (HO)2 : carbonate de cuivre hydroxylé, de couleur bleue

Barytine, Ba SO4 : sulfate de baryum, de couleur blanche, jaune, brun-rouge, bleue ou incolore

Chalcopyrite, Cu Fe S2 : sulfure de cuivre et de fer, principal minerai de cuivre, de couleur jaune

Cuprite, Cu2 O : oxyde de cuivre, de couleur rouge à brun-noir

Emplectite, Cu Bi S2 : sulfure de bismuth et de cuivre, de couleur grise

Galène, Pb S : sulfure de plomb, peut contenir de l'argent à l'état de trace, de couleur grise

Hématite, Fe2 O3 : oxyde de fer, de couleur noire à brun-rouge

Malachite, Cu2 (CO3) (HO)2 : carbonate de cuivre hydroxylé, de couleur verte

Mixite, (Bi Ca H) Cu6 (As O4)3 (OH)6 3H2 O : arséniate de cuivre et de bismuth, de couleur bleu-vert à vert-jaune

Tétraédrite, (Cu Fe)12 Sb4 S13 : sulfo-antimoniure de cuivre et de fer, peut contenir des inclusions d'argent, de couleur noire à grise


Sources et éléments de bibliographie

- BRGM / Réf. 0378.1X.4002 (Bureau de Recherches Géologiques et Minières, Service Géologique Régional d'Alsace)

- Central- und Bezirks-Amtsblatt für Elsass-Lothringen (Strasburg den 6. April 1901)

- Tiroler Landesarchiv (Innsbrück)

- Patrimoine minier dans le Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges, Propositions pour une politique de préservation et de mise en valeur (avril 1992)

- Wintzenheim (Encyclopédie de L'Alsace, Volume 12, Éditions Publitotal Strasbourg, 1986)

- La Rouge Myne de Sainct Nicolas de la Croix, dessinée par Heinrich Groff, présentée par Emmanuelle Brugerolles, Hubert Bari, Paul Benoît, Pierre Fluck et Henri Schoen (Découvertes Gallimard Albums 1992)

- La vallée de la Fecht : mines anciennement exploitées et principaux gisements minéraux, René Weil et Victor Stutzmann (Bulletin de la Société d'Histoire Naturelle de Colmar, 46e volume, 4e série, T.III, 1955)

- Zur Geschichte des Bergbaues im Elsass im 15. und 16. Jahrhundert, Stolz O. (Els.-Loth. Jahrbuch, Frankfurt-am-Main T. XVIII, 1939)

- Mines et fonderie au XVIe siècle d'après Agricola, Angel M. (Paris, Les Belles Lettres, Total Édition Presse, 1989)

- Minéraux et cuivres du Massif Vosgien, Hohl J.L. (Éditions du Rhin, 1994)

- Prolégomènes à l'histoire des mines de la vallée de Munster, Barth A. (Annuaire de la Société d'Histoire du Val et de la Ville de Munster, T. XLII, 1988)

- Spéléologie et archéologie minières : Bilan des recherches depuis 1969 dans les mines métalliques vosgiennes, Jean-Marie Le Minor (Revue d'Alsace, T. 109, 1983)

- L'îlot de schistes tournaisiens d'Aspach - Vallée de la Fecht, Haut-Rhin, par René Weil et Victor Stutzmann (Bulletin du Service de la Carte Géologique d'Alsace et de Lorraine, Tome 7, Université de Strasbourg, 1954)

Wintzenheim

Situation géographique des Mines d'Aspach à Wintzenheim (sur un extrait de la carte IGN Top 25 - 3718 OT)

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Cet article de Jean DANNER a été publié dans

l'Annuaire de la Société d'Histoire de Wintzenheim N° 10 - 2006

Jean DANNER est décédé le 8 octobre 2019


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