WINTZENHEIM.HISTOIRE

Les origines industrielles de La Forge


Le quartier de La Forge (ou Hammerschmiede) se situe à la limite ouest de Wintzenheim, dans la vallée de Munster. Il fut créé au début des années 1840 lorsque Jean Bicking de Munster y établit une taillanderie (atelier de fabrication d’outils tranchants), à un endroit situé entre Wintzenheim et Munster où ne s'élevait aucun bâtiment, mais en bordure de la Fecht.

Le quartier de La Forge ou « Hammerschmiede »

A la limite Ouest du ban de la commune de Wintzenheim, au lieu-dit « Elftagen » (1), à l'entrée du Val Saint-Grégoire (Vallée de Munster), au pied du village de Walbach, à 5 km de Wintzenheim-Centre, entre la Fecht et la RD 417, est situé le quartier de La Forge ou « Hammerschmiede ».
Le site doit son nom et son origine à une forge mécanique construite par Jean BICKING, né à Munster en 1802, qui s'associe en 1840 à un cultivateur de Wintzenheim, Martin BRAESCH, propriétaire en cet endroit. La construction de l'usine débute en 1842. (2)
En 1843, M. BRAESCH se retire et laisse la place à Jacques SURERUS né à Bergzabern dans le Palatinat, alors rattaché à la France, taillandiers (fabricants d'articles en fer forgé) de Munster. (2)
BICKING J. achète des terrains et obtient d'un particulier le droit d'encaisser la rivière de la Fecht au moyen d'un mur longeant la propriété, ainsi que le droit de placer un barrage pour diriger les eaux dans son canal, ce qui est la force motrice à l'époque. (3)
Cette usine est idéalement placée au centre de plusieurs communes du vignoble, à côté de la route reliant Colmar à Munster, soit à proximité de nombreuses manufactures, en vue de la réparation de leurs outils aratoires et aux industriels la confection de leurs grosses pièces en fer.
La forge se compose d'un feu d'affinerie marchant au charbon de bois, de cinq foyers de maréchalerie fonctionnant à la houille, d'un gros marteau et trois martinets mus par trois roues hydrauliques, enfin une soufflerie à piston en bois. (2)

Wintzenheim

Usine à fer - Plan de situation du site en 1845 (Archives départementales du Haut-Rhin, Colmar : 7S298) ZOOM

En 1847, les propriétaires donnent l'usine à bail pour une durée de 5 ans et 6 mois pour un loyer annuel de 5000 F, à un fabricant « textile » de Gunsbach, Jean KIENER, né à Hunawihr en 1794 décédé à Gunsbach en 1875, (4), lequel établit le 10 août de la même année le règlement de police pour les Forges de Wintzenheim. (5)

Ce règlement de police stipule :
La subordination, le bon ordre, la régularité dans le travail, étant indispensables pour la prospérité de tout établissement industriel, j'ai fait le présent règlement pour mes ateliers ; j'exige de toute personne qui y est employée, qu'elle en prenne connaissance afin de s'y conformer.
Article I - Tout ouvrier employé dans mon atelier est tenu de se munir d'un livret bien en règle et de le délivrer au bureau.
Article II - La durée du travail est fixée de 5 heures du matin à 7 heures du soir, y compris les heures de repas de 8h à 8h30 du matin et de midi à 1 heure. En cas que les besoins de l'établissement exigeraient un changement des heures, l'ouvrier aura à s'y soumettre.
Article III - Cinq minutes sont accordées aux ouvriers après l'heure d'entrée du matin fixée par le présent règlement, pour se mettre à leur ouvrage. Ceux qui se rendront plus tard à leurs ateliers, subiront une amende qui sera toujours équivalente au temps perdu.
Article IV - Cinq minutes avant l'heure de sortie, les ouvriers auront à serrer leurs outils. Le contrevenant à cet article sera puni d'une amende de 50 centimes.
Article V - Tout ouvrier qui reste absent sans permission subit une amende équivalente au moins au temps perdu. En cas de maladie, ils sont tenus d'en avertir leurs chefs qui auront à s'en assurer.
Article VI - Tout ouvrier qui aura fait entrer à l'établissement de la bière, du vin ou de l'eau-de-vie par une autre porte que la porte d'entrée, sera puni d'une amende de cinq francs ; et dans le cas d'introduction de ces liquides par la porte sans permission, l'ouvrier subira une amende de 1 franc.
Article VII - Tout ouvrier qui exécutera mal son ouvrage subira une amende proportionnelle aux défauts de son travail.
Article VIII - Chaque ouvrier est responsable des outils ou autres objets à lui confiés. Il rapportera à leur place, après s'en être servi, ceux qui n'appartiennent pas à sa forge. Chaque samedi, il aura à faire la vérification de ses outils et à faire voir à ses chefs ceux qu'il aura cassés pendant la semaine.
Article IX - L'ouvrier qui par méchanceté ou par maladresse casserait ou endommagerait quelque objet que ce soit, subira une amende proportionnelle au dommage occasionné, et il sera congédié sur le champ si ce dommage est d'importance.
Article X - Il est sévèrement défendu de fumer dans les magasins.
Article XI - Tout ouvrier qui se présentera dans l'atelier dans un état d'ivresse subira une amende de 2 francs et sera renvoyé pour le restant de la journée.
Article XII - II est défendu d'introduire des étrangers dans les ateliers sans en avoir au préalable demandé la permission à l'un des chefs. Le contrevenant subira une amende de 2 francs.
Article XIII - Si des ouvriers non engagés pour un temps fixe et employés dans l'établissement pendant 8 jours sont intentionnés de quitter ou s'il nous convient de les congédier, on est réciproquement tenu à une dénonciation d'un mois.
Article XIV - Si un ouvrier est renvoyé pour cause de désordre, de désobéissance ou d'inconduite, il ne peut pas faire valoir la formalité énoncée dans l'article 13.
Article XV - Les réclamations relatives à la paye doivent être faites le lendemain de la paye ; passé ce temps, elles ne sont plus admises.
Article XVI - L'ouvrier devra rester à son ouvrage, le temps des heures de travail et ne pourra s'absenter que sur la demande des chefs.
Article XVII - Les aides auront à pourvoir leur forge des matériaux nécessaires qu'ils ne pourront cependant y transporter sans en avoir prévenu l'un des chefs.
Article XVIII - Chaque samedi, ils sont tenus de nettoyer leur forge et de mettre les outils en ordre.
Article XIX - II est expressément défendu aux ouvriers d'entrer sans permission dans les magasins sous quelque prétexte que ce soit.

Tout ouvrier employé chez moi s'engage à se conformer au présent règlement qui sera affiché dans l'atelier et dont un exemplaire sera déposé à la justice de paix et un autre à la mairie du canton de Wintzenheim.
Forges de Wintzenheim le 10 août 1847, Jean KIENER

La même année sont produits 600 quintaux de pièces diverses dites de « mécanique » : outils, pelles, pioches, socs de charrue, etc... (2)
Le décret de l'Assemblée Nationale du 9 septembre 1848 limite la journée de l'ouvrier dans les manufactures et usines à 12 heures de travail effectif. (6)
Les bailleurs exploitent pendant quelques années l'entreprise, et à la suite de mauvaises affaires, ils font faillite, puis émigrent en Amérique.
En 1854, l'industriel Jean KIENER acquit la grande propriété, d'une surface de près de 50 ares, agrandit le bâtiment et y installa une usine de filature et tissage de coton. La forge continue à servir pour fabriquer de l'outillage agricole. (2) Jean KIENER possédait également des établissements situés à Gunsbach, Wihr-au-Val, Turckheim et Kaysersberg. (4)
La propriété idéalement située sur la rive droite de la rivière de la Fecht et de part et d'autre de la route de Munster à Wintzenheim, comprend de nombreuses dépendances, à savoir : une maison d'habitation, un potager, un verger, des champs, des prés, des écuries, une grange et d'autres petits bâtiments annexes.
C'est sur ces lieux que Jean KIENER fils, né à Gunsbach en 1838 et décédé à Wiesbaden (Allemagne) en 1895, passionné d'agronomie, construira plus tard sa ferme modèle. (4)
Le tissage mécanique commence à fonctionner vers 1856. Le manufacturier corrige le cours de la Fecht sur une longueur de 2 à 3 km en amont de Walbach. Deux barrages assurent l'alimentation du canal d'amenée. En 1858, une machine à vapeur s'ajoute aux roues hydrauliques. (7)
Le bâtiment principal forme un énorme carré à étages, entouré d'autres constructions, ce style architectural anglais sera abandonné à cause des risques d'incendies.
En 1867, le tissage mécanique occupait 275 personnes et le martinet et taillanderie 17 personnes. (8)
La même année, un état notifie que les enfants employés dans les manufactures, usines et ateliers à Wintzenheim, sont répartis en 3 tranches d'âge, de 8 à 10 ans, de 10 à 12 ans et de 12 à 16 ans. (9)
Le personnel de l'usine était composé de : bobineuses, ourdisseuses, pareurs et tisseurs encadrés de contre-maîtres.
En 1869, la taillanderie occupe de moins en moins de personnes pour disparaître définitivement. (10)

En 1884, le 1er décembre entrent en vigueur les Statuts de la « Société de Secours contre la maladie des Etablissements de M. Jean KIENER fils à Gunsbach. En conformité des paragraphes 60 et suivants de la loi du 15 juin 1883 sur l'assurance des ouvriers contre la maladie, il est créé pour les Etablissements de M. Jean KIENER fils à Gunsbach, une Société contre la maladie, sous le nom de « Société de Secours contre la maladie des Etablissements de M. Jean KIENER fils à Gunsbach », remplaçant la « Caisse de secours contre la maladie » existante jusqu'à ce jour. La nouvelle Société a son siège à Gunsbach.
Sont concernés les malades employés à La Forge, Turckheim et Kaysersberg, soit : les ouvriers et ouvrières adultes et les ouvriers et ouvrières de moins de 16 ans. La fermeture des Etablissements de M. Jean KIENER fils, entraîne la dissolution de la Société.
Les présents Statuts ont été adoptés par les Etablissements de M. Jean MENER fils à Gunsbach, La Forge, Turckheim, Kaysersberg, Metzeral et Stosswihr. Gunsbach, le 21 novembre 1884, signé Jean KIENER fils (11)

En 1923 est mise en service une micro-centrale hydroélectrique implantée à l'arrière de l'usine textile, répertoriée au nom de René Alphonse KIENER, industriel à La Forge, pour alimenter l'usine et les logements. De la prise d'eau au lieu-dit « Wasserkopf » sur le ban de la commune de Wihr-au-Val jusqu'à l'usine de La Forge, la conduite a un dénivelé de 14 mètres. La première conduite était en bois jusqu'en 1937, puis fut remplacée par une conduite forcée en ciment de 1200 mètres et de 185 centimètres de diamètre. 12)
Le 17 novembre 1926, le bien passe sous la coupe de la « Filature et Tissage Jean KIENER S.A. » à Gunsbach et le 28 juillet 1931, Caroline Alice KIENER épouse de Robert HEUSCH, en devient propriétaire. 12)
En 1930, la manufacture de filature et de tissage de coton, ferme ses portes.
En 1936, le domaine fut acquis par la S.N.C.F., notamment la maison de maître, en prévision de la création d'un aérium pour les enfants atteints de tuberculose. 13)
Pendant la guerre 1939-45, les locaux servaient d'infirmerie pour soldats blessés et malades.
En 1945, le ministère de la Défense rachète les bâtiments de l'usine et y installa le Centre Mobilisateur 104. Il y avait notamment un Mess et un Foyer. Différentes unités y sont abritées jusqu'en 1977, d'où son nom de « Caserne de La Forge », 14) devenue un dépôt de camions militaires, puis un garage pour caravanes et camping-cars.
En 1964, la propriété de la S.N.C.F. fut transformée en « Institut Médico Pédagogique (I.M.P.) » et progressivement l'établissement fut ouvert aux enfants de la région relevant des autres Caisses d'Assurances Maladies, pour accueillir environ 70 enfants. 13)
Depuis le 16 février 1971, les bâtiments sont passés sous le contrôle de la famille DIERSTEIN. 12)
En 1989-90, s'est installé sur le site de La Forge l'Institut de Recherches Hydrologique (I.R.H.) environnement, pour le quitter en 2003. 15)
En 1998, début du désengagement de la S.N.C.F. propriétaire de l'I.M.P. et transfert de la gestion à une association de droit local. L'effectif fut progressivement réduit à 60 enfants présentant des troubles du comportement, parfois associé à des déficiences intellectuelles légères. 13)
Le 19 janvier 2005, le Comité Régional de l'Organisation Sociale et Médico-Sociale autorise la transformation de l'I.M.P. en « Institut Thérapeutique Educatif Pédagogique » (I.T.E.P.). La même année, le 1er juillet, retrait complet de la S.N.C.F. La Fédération de Charité du Diocèse de Strasbourg, Caritas d'Alsace, est désormais propriétaire du site et le met à la disposition de l'Association « Saint Grégoire Le Grand » gestionnaire de l'Institut La Forge. 13)
En octobre 2006, la municipalité de Wintzenheim décide de préempter l'ancienne caserne de La Forge, pour y réaliser une zone artisanale ou industrielle. 16)
En 2008-09, la caserne fut détruite.
En 2010, le nouveau propriétaire de NUSS-DIETRICH Matériaux de Stosswihr s'implante sur le site. 17)

Notes :

1) Ancien cens (nom qu'on donnait aux métairies) qui s'étend jusqu'à la route de Walbach, en aval de Zimmerbach, la commune de Turckheim sur la Fecht.
2) Alsace du 23.11.1978 ; Dern. Nouvelles d'Alsace du 06.12.1978.
3) Arch. Départ. Haut Rhin 5 M 105 ; 7 S 298.
4) Nouv. Dict. Biogr. Alsacienne vol. IV fac. n : 20, p. 1953.
5) Wintzenheim et son Canton : 1972.
6) A.D.H.R. 10 M 2.
7) A.D.H.R. 5 M 96.
8) A.D.H.R. 9 M 3; Arch Mun. Wintzenheim 2 F 4-5.
9) A.D.H.R. 10 M 5.
10) D.N.A. du 06.05.1980.
11) A.D.H.R. Delta 81/18 Gunsbach.
12) D.N.A. du 10.02.1994.
13) Institut La Forge ; D.N.A. du 06.05.1980 ; Alsace du 01.10.2010.
14) D.N.A. du 01.11.1980 ; du 01.10.2006 ; du 14.11.2008.
15) I.R.H. ; D.N.A. du 14.11.2008.
16) D.N.A. du 21.01.2007.
17) Alsace du 01.10.2010

Bibliographie :

- Annuaire 2001, n° LV, p. 57, Société d'Histoire du Val et de la ville de Munster
- Dictionnaire des communes du Haut-Rhin, tome III, p. 1636. Alsatia, 1982
- Encyclopédie d'Alsace, volume V, p. 3105. Strasbourg, 1983
- SCHERLEN Auguste « Wintzenheim - Geschichts-Bilder ». Colmar, 1929
- STOFFEL Georges « Dictionnaire Topographique du Haut-Rhin » Paris, 1868
- « Wintzenheim 1897-1949 ». Colmar, 1997

Cette étude est réalisée en 2014 à la demande de la Direction de la Culture, du Tourisme et des Sports, Région Alsace.
Elle peut servir pour information et à des recherches plus approfondies.
Charles SCHILLINGER Archiviste de la Société d'Histoire de Wintzenheim.

Copyright : Société d'Histoire de Wintzenheim 


Taillanderie

Le taillandier est un forgeron spécialisé dans la confection des outils tranchants.
Le cœur du métier de taillandier consiste à fabriquer ou réparer les objets métalliques tranchants utilisés par de nombreuses corporations.
Il s’agit en priorité des outils de labour et d’entretien des terres : fers de charrue, bêches, pelles, houes, haches, scies, etc.


Le taillandier « Der Zeugschmied », dessin de 1847 par Jean Frédéric Wentzel, Bibliothèque nationale de France.

Principaux outils que produisait le taillandier :
- Haches, cognées, merlins et scies (abattage des arbres, fabrication du bois de construction).
- Faux et faucilles (récolte des céréales et du foin)
- Houes et pioches (défrichage du sol)
- Bêches et pelles (labour léger, creusement de la terre)
- Socs de charrue et coutres (labour des champs avec charrues tirées par animaux)
- Couteaux, couperets, serpes (boucherie, cuisine, viticulture)


Taillandier repassant un couteau à la meule au 15e siècle (https://www.meubliz.com/definition/taillandier/)


La Taillanderie Luquet d'Eschbach-au-Val, près de Munster (Alsace)

Internet : https://www.lamaisonluquet.eu

Vidéo : Taillandier Forgeron : La Maison Luquet


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