Rosalie
Schuller née Bourguignon, le jour de son 100ème anniversaire à la Maison de
Retraite "Les Magnolias" de Wintzenheim (photo Guy Frank, 23 octobre 2004)
Rosalie Schuller a eu la joie de fêter son 100e anniversaire le samedi 23 octobre 2004. Née le 23 octobre 1904 à Wintzenheim, elle a pris pour époux le 24 décembre 1925, Jules Schuller. De cette heureuse union sont nés trois enfants, un fils et des jumeaux une fille et un garçon. Hélas, bien des épreuves ont marqué la vie de la centenaire qui a perdu tragiquement en 1945 le fils aîné et son époux. Après avoir exercé durant 20 ans le métier de tisseuse, Rosalie Schuller passe depuis quelques années, une vie paisible et bien méritée à la maison de retraite, "Les Magnolias" à Wintzenheim. Elle a le bonheur d'être entourée de ses deux enfants, leurs conjoints, de cinq petits-enfants ainsi que neuf arrière petits enfants. Mme Schuller a fêté comme il se doit son 100e anniversaire en famille. Toutefois, les Magnolias, lui ont réservé la veille une belle soirée en son honneur, réunissant ses enfants, la directrice, Mme Dolle, les représentants de la mairie, Guy Daesslé, maire et président du conseil d'administration, Serge Nicole et Mme Spinhirny, M. le Curé Menny et les membres du conseil d'administration. Une délégation du personnel n'a pas manqué de faire une surprise à la centenaire qui a entonné des airs d'antan...
Source : L'Alsace et les DNA du samedi 23 octobre 2004
Rosalie est décédée le 25 décembre 2004 à l'âge de 100 ans
(Photo
Jean-Christophe Dorn, juillet 1996)
En 1996, Rosalie Schuller a 92 ans. En 1936, elle en avait 32 et elle était ouvrière textile à Wintzenheim.
Rosalie a des souvenirs gravés. La grève, elle l'a faite, elle sait pourquoi. Successivement employée aux tissages Gensburger à Colmar, puis au "Fawrikla" de Wintzenheim, puis chez Herzog à Logelbach." Mes parents étaient au chômage. Mon mari aussi. A l'époque, les chômeurs devaient se rendre utiles s'ils voulaient toucher leur allocation. Mon mari allait casser des cailloux : c'était le maire de Wintzenheim qui faisait sortir des galets de la Fecht, des "Blauwacker", de gros blocs qu'il fallait réduire et qui servaient à la construction des routes. Ma sœur nous donnait du pain et du lait ". Rosalie allait à pied chez Gensburger (rue de Turckheim à Colmar). Comme tous les gens de Wintzenheim.
A 6 heures du matin, on voyait, se souvient-elle, de longues processions vers
Colmar et Logelbach, où le travail commençait vers 7h30. La moitié de
Wintzenheim, dit Rosalie, travaillait aux filatures Hausmann ou aux tissages
Herzog.
Vers 11h, trois femmes partaient de Wintzenheim vers les usines de Colmar.
Elles tiraient des charrettes à bras, chargées de gamelles entourées de
chiffons. Elles contenaient les repas chauds des ouvriers textiles, apportées au
point de ralliement par les épouses ou les mères...
" Chez Gensburger, on était payé en fonction de la production. Quand on
travaillait le coton d'Égypte, solide et de bonne qualité, on ne cassait pas et
le rendement était satisfaisant. Mais certains fils étaient moins résistants et
se déchiraient souvent. Le patron était un homme bon. Mais le contremaître
s'appelait Grob et il l'était ".
L'humour, c'est utile pour cacher l'émotion. " J'ai eu un chef, il s'appelait
Kastler. Comme je venais d'arriver, j'avais seulement deux métiers à tisser à
surveiller, les autres en avaient six. Il a demandé pourquoi. Je lui ai répondu
: " warum sin di Banana krum ? " (Pourquoi les bananes sont-elles courbes ?)
Chez Herzog, un jour, on lui donne l'ordre de nettoyer les sanitaires. "
Moi, j'étais ouvrière textile. J'ai dit non, je ne suis pas nettoyeuse de
toilettes. A la suite de cet incident, on m'a annoncé que j'étais licenciée.
Mais le grand patron m'a gardée ".
En 1936, quand la grève a éclaté, Rosalie travaillait au "Fawrikla" et
gagnait trois fois rien. " Juste de quoi s'acheter à manger ", dit-elle. " Un
homme est entré dans l'atelier, je ne sais plus qui. C'était un socialiste, non,
plutôt un communiste. Il a dit " hoppla, die Karra abgstellt ! " (allez, on
arrête les bécanes "). Une femme qui avait beaucoup d'enfants hésitait. Un
ouvrier a dit : " Streik hi, Streik har, ich ha oi Kinder, s'wurd gstreikt ! "
(grève par ci, grève par là. Moi aussi, j'ai des enfants, on fait grève).
Le contremaître lui-même a dit de stopper les machines. " Fertig ! il a dit.
Ich will nit schaffa fer a Groscha " (on arrête ! Je ne veux pas travailler pour
un sou). A ce moment-là, toutes les usines de Wintzenheim étaient en grève, y
compris la fonderie Haren. Je me souviens que tous les soirs, les fondeurs
remontaient le village, tout noirs, pour rentrer chez eux : il n'y avait pas de
douche dans l'entreprise ".
Puis la grève s'est terminée. D'un salaire horaire de 1 F, Rosalie se
souvient d'être passée à 4,50 F, " du jour au lendemain ". " Tout le village a
défilé avec des drapeaux. Il y avait des explosions de joie. Les commerçants
étaient dans la rue. On se sentait plus léger. On pouvait manger correctement ".
Ses premiers congés payés, Rosalie les a passés à biner son champ de pommes de terre.
Source : Les DNA du 24 juillet 1996, Marie-Thérèse Fuchs
Un extrait de cet article illustre le "Cahier d'Activités - Éducation Civique 4e" de NATHAN, Mai 2002 (page 16, les droits des travailleurs).
Rosalie
Schuller (photo Guy Frank, 24 mars 2002)
On a arrêté les machines et défilé vers le centre de
Wintzenheim. Je suis montée sur l’escalier de la Mairie pour rassembler mes
collègues. Un beau jeune homme, bien habillé, le chef des « Rouges », m’a dit :
- Viens, il ne faut pas rester ici. Tu seras mieux là-bas.
Il m’a prise dans ses bras et m’a soulevée sur la fontaine du village. De là,
je dominais la foule des ouvriers, hommes et femmes, et je leur ai parlé. Je leur ai dit :
- On va organiser une réunion !
Ils m’ont applaudie.
Le soir, un voisin a rencontré mon père au bistrot et lui a dit :
- Ta fille sait bien parler. Je l’ai vue, debout sur la fontaine...
Mon père est devenu tout blanc. Il s’est levé, et est rentré à la maison sans vider son verre.
Le soir, il m’a foutu une sacrée raclée…
Marie-Rose
Ludwig, née Schuller (photo Guy Frank, 23 mars 2004)
La famille Schuller habitait dans la maison Bourguignon, en bas du "Béckala", une petite impasse qui descendait de la Wolfsgasse (rue de la Victoire) derrière la maison Bernhart. Notre fenêtre donnait sur la cour de l'école. Nous étions cinq : mes parents Jules Schuller et Rosalie née Bourguignon, mes frères Pierre et Robert, et moi, née le 17 juin 1934, sœur jumelle de Robert. Le 12 janvier 1945, nous avons dormi chez Maria Anthony, rue Joffre, car son mari était en Russie, et elle avait peur toute seule, des obus étaient déjà tombés sur Wintzenheim les jours précédents. Nous dormions sur des matelas disposés à la cave. Elle était si profonde qu'aucun bruit de l'extérieur n'y était perceptible. C'est ainsi que nous ignorions qu'un drame était en train de se jouer à quelques pas de là.
Vers 8 ou 9 heures du soir, je ne sais plus exactement, Roger Hirlemann est venu frapper à la porte pour nous annoncer qu'un obus avait provoqué un incendie dans la Wolfsgasse :"Venez vite ! Votre maison est en train de brûler, avec tous vos lapins, cochon, etc !". Mes parents et mon frère aîné ont couru vers la maison, pour essayer de sauver le minimum et aider à éteindre l'incendie. Maman est revenue peu après. Mon père lui avait dit : "Va chez les enfants, ne les laisse pas seuls". Puis a commencé la longue nuit d'attente. Maman a attendu ses "hommes" des heures et des heures, elle était dans l'angoisse, sans aucune nouvelle de ce qui se passait dans la rue de la Victoire. Le matin, ne les voyant pas rentrer, elle est partie aux nouvelles et c'est là qu'elle a découvert la tragédie. Il ne restait rien de la maison. Dans la ruelle, des corps étaient alignés, recouverts par des couvertures. Rosalie a soulevé une couverture, puis une deuxième. A la troisième, elle a découvert son fils Pierre, mort. Quelqu'un lui a dit : "Ton mari est là aussi, au bout de la rangée !".
Nous n'avions plus rien, plus de maison, plus de meubles, plus de vêtements, sauf ceux que nous portions sur nous. Mon père était mort, mon frère aussi. Et nous ne pouvions pas rester chez Anthony. Nous sommes donc partis le même jour, à pied, vers Wettolsheim, nous jetant à terre dans les vignes à chaque sifflement d'obus. Nous avons trouvé refuge chez la famille Barmès, la sœur de maman. Le surlendemain, maman est retournée à Wintzenheim, pour assister à l'enterrement de son mari et de son fils. Faute de cercueils, ils ont été enterrés dans des caisses en bois, fabriqués à la hâte.
Après deux mois et demi, nous sommes revenus à Wintzenheim où nous avons été relogés rue des Prêtres dans deux petites chambres avec cuisine. La boulangère, "S'Becka Finnla", nous a offert une table ronde. Le maire Tannacher nous dit de choisir un buffet de cuisine, un lit et une armoire dans un lot de meubles laissés par des Allemands partis à la Libération. Par l'intermédiaire de Paul Beyer, nous avons reçu quelques paquets de vêtements. Et c'est ainsi que nous avons survécu avec les moyens du bord. Maman travaillait chez les paysans, dans les vignes ou à la récolte des pommes de terre. Elle fendait du bois pour les voisins, maniant la hache comme un homme. Nous cherchions aussi des églantines et des myrtilles pour gagner un peu d'argent. Et puis à 14 ans, mon frère et moi sommes allés travailler à la papeterie...
Source : témoignage recueilli par Guy Frank le 23 mars 2004
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