WINTZENHEIM.HISTOIRE

8 mai 1962 : Collision en vol en Algérie


WintzenheimMEYER Jean-Pierre, de Wintzenheim

AFFECTATION :

Affecté au CISALAT (Centre d'Instruction et de Spécialisation de l'Aviation Légère de l'Armée de Terre) Base ALAT 121 à Essey-les-Nancy où j'ai fait mes classes puis mon instruction pilote du 11 septembre 1960 au 24 août 1961. Breveté pilote j'ai aussitôt été embarqué sur le paquebot "Ville de Tunis" destination Bône puis la base Sétif. Je suis rentré en métropole le 5 octobre 1962 après 25 mois de service militaire en temps qu'appelé dont, 13 mois en AFN (Afrique Française du Nord). J'ai ensuite été affecté comme pilote de réserve à la base d'Essey-les-Nancy.

MISSIONS :

A Sétif j'ai d'abord été affecté PMAH (Peloton Mixte Avions Hélicoptères) de la 19ème DI puis à la base de Bougie avec le grade de Maréchal des Logis. J'ai effectué 216 missions opérationnelles sur le secteur Petite Kabylie. La Petite Kabylie est la région la plus montagneuse du Constantinois avec des sommets culminants à plus de 2000 mètres et des vallées profondes et inhospitalières comme les gorges de Kerrata ou les Portes de Fer, tristement réputées car les accrochages avec les rebelles y étaient nombreux et surtout très violents. Au début j'ai effectué nombre de missions en PIPER comme des liaisons, largage de courrier sur les postes isolés, relais radios, réglages de tir de canons et même des évacuations sanitaires. Au bout de 3 mois, suite à un manque d'effectif en pilotes « engagés » formés à Dax, j'ai été transformé sur le L19E Armé pour des missions plus opérationnelles comme les protections de convois, les RAV et avec un officier observateur la coordination des troupes au sol et des moyens aériens comme les Divisions Héliportées (DIH), la chasse et le bombardement. Notre audace était reconnue par notre spécialité de vols et de tirs en rase-mottes ce qui faisait l'admiration des troupes au sol et des pilotes de l'Armée de l'Air. Plusieurs équipages ont été blessés ou ont payé de leur vie dans cette guerre où l'ALAT avait définitivement conquis ses lettres de noblesse.

SOUVENIR LE PLUS MARQUANT :

Ma poussée d'adrénaline la plus forte, je l'ai eue le 8 mai 1962 à 8h32 au cours d'une mission de reconnaissance avec des officiers observateurs du Service de Renseignements pour vérifier la migration des rebelles après le cessez-le-feu. Mon leader, en réglant sa radio VHF pour faire les annonces à la tour de contrôle s'est mis en virage et m'a percuté en plein vol m'entaillant l'aile sur un bon mètre. Nous sommes rentrés tous les deux équipages sains et saufs à la base après avoir maîtrisé chacun notre chute.



Ma collision en vol en Algérie (1962)

par Jean-Pierre MEYER (ancien pilote CPAP dans l’ALAT)

Les abréviations en bleu renvoient au lexique au bas du texte

8 mai 1962, une date entre le cessez-le-feu et l’indépendance de l’Algérie, une journée qui aurait pu être banale si deux officiers des Services de Renseignements n’avaient pas reçu un ordre de mission leur demandant de vérifier les migrations du FLN du côté de Saint-Arnaud (entre Sétif et Constantine). Nous sommes sur la base de Sétif, et la pendule de la salle OPS du PMAH de la 19ème DI affiche 7 heures 30. Nous partirons avec deux avions L-19 et je fais équipe avec le lieutenant Baudet qui sera mon leader. Nous aurons chacun un officier observateur et j’apprends que le mien sera le sous-lieutenant Muller.

Au briefing, on fixe les derniers détails autour d’une tasse de café. La météo est bonne, le ciel est très clair et pour cause, il y a un vent très fort ce qui risque de compromettre le vol à basse altitude sur le relief. On prévient nos passagers que cela risque de tabasser. L’un d’eux nous confie avoir déjà volé sur Caravelle entre Paris et Alger ! Nous on sourit en les aidant à enfiler leurs combinaisons de vol, mais là où tout se corse c’est quand on leur ajuste les parachutes. A cet instant je pense que nos passagers viennent de réaliser que le vol sera très différent de celui en Caravelle. Sur le tarmac, les mécanos s’affairent en aidant tant bien que mal à installer nos passagers en place arrière, à passer les planchettes avec des cartes gribouillées de cercles et de flèches. On vérifie les postes HF pendant que les moteurs chauffent et la tour de contrôle nous autorise à rouler en nous signalant un fort vent de travers sur la piste avec des rafales.

Après l’autorisation de décollage, nous voilà à batailler aile dans le vent pour rester alignés sur la piste. Au premier virage, nous réalisons que le vol à basse altitude initialement prévu ne sera pas possible à cause des fortes turbulences. Par l’interphone, je demande à mon passager si tout va bien et je reçois en retour un semblant de – Oui ! à peine audible. En prenant la direction de Saint-Arnaud, mon leader me demande de grimper à 1000 mètres pour vérifier si nous pouvons trouver une zone plus stable sur le relief. Après 10 minutes, nous volons dans les mêmes conditions de turbulences et mon leader me confirme qu’après accord de son observateur nous interrompons la mission pour regagner la base en survolant le Haut-Plateau toujours à 1000 mètres et là, subitement, on avait l’impression de voler dans du coton. Pour nos passagers, le mauvais moment était passé car il flottait toujours une odeur d’air frais dans l’habitacle.

Le L19E "Bird Dog"

Il est 8 heures 30, cap à l’ouest, à ma gauche, le soleil est déjà haut dans le ciel. Mon leader qui se trouve également à ma gauche à une vingtaine de mètres, me fait un signe de la main et me demande par radio de passer sur la fréquence tour en VHF et qu’il s’occupe des annonces pour l’approche dans le circuit.

J’affiche la fréquence quand subitement, j’aperçois une ombre sur mon capot moteur et je vois mon leader arriver en virage engagé tel un kamikaze qui me fonce dessus. Avec son aile droite basse il ne peut pas me voir et dans la fraction de seconde qui suit je fais le plus sec dégagement avec piqué dos pour l’éviter... lorsque j’entends un léger bruit sur le coup indéfinissable. A cet instant, c’est tour à tour l’ombre, le soleil, la descente en vrille, avec comme un frein dans les gouvernes et puis toujours l’ombre, le soleil, et le sol qui approche et qui tournoie sans repères extérieurs. C’est là que les secondes paraissent des siècles, avant d’apercevoir tout à coup un semblant d’horizon. Je ne me souviens plus comment l’appareil s’est redressé, mais l’assiette était stable le régime moteur était bon mais je constatais aussi que j’avais du mal à voler droit .

Il était 8 heures 35, j’avais perdu 700 mètres d’altitude et je ne savais pas exactement ce qui s’était passé ni où je me trouvais. J’appelais mon leader sur la fréquence tour, pas de réponse. J’observais les alentours, rien ! Je m’attendais à tout en évitant de penser au pire, car je ne voyais aucune trace de fumée au sol, ce qui était déjà rassurant. C’est en voulant faire un virage de 360° à droite que j’ai compris combien il était difficile de contrôler ce virage. C’est alors que j’ai aperçu mon leader sur mon arrière gauche avec un moteur fumant et sa verrière noire d’huile. Je constatais aussi qu’il y avait quelque chose d’anormal du côté de mon bout d’aile, mais le lance-roquette toujours en place m’empêchait d’évaluer les dégâts.

En mettant le cap ouest, j’informais aussitôt la tour avec un triple Mayday, l’appel de détresse que l’on ne pensait jamais prononcer, pour deux avions endommagés .J’essayais tant bien que mal de contrôler ma trajectoire en jouant sur les volets de courbure et le régime moteur quand j’aperçus enfin au loin, la base, puis la piste. A ma gauche, mon leader fumait toujours et me serrait car sa visibilité était médiocre. La tour m’annonçait enfin la priorité et le plus dur à supporter fut de voir s’aligner le long de la piste, d’abord la grue, puis les ambulances et les camions de pompiers. Cette fois-ci, c’était bien pour notre pomme !

Puis ce fut l’atterrissage comme sur des œufs suivi par mon leader toujours aussi fumant. Je suivais les pompiers pour rejoindre le tarmac, puis mon mécano m’indiqua ma place de parking et après un dernier coup de moteur pour virer je coupais le tout en terminant ma check-list après vol dans les règles. C’est à cet instant que j’ai aperçu le comité d’accueil avec en tête bien sûr mon chef de Peloton, le capitaine De Pitray, et une brochette de hauts gradés.

Je descends de l’avion et je tombe à genoux sans pouvoir me relever tellement tout à coup, j’avais les rotules qui tremblaient. On m’aide à me relever et au lieu de me féliciter pour avoir ramené mon avion à bon port, je me fais engueuler comme jamais, ainsi que mon leader, pour avoir esquinté deux avions d’un seul coup.

Pendant que les mécanos et pompiers s’affairaient autour des avions (surtout celui de mon leader qui n’avait plus d’huile dans le carter moteur et qui avait échappé par miracle à l’incendie), moi je découvrais l’étendue des dégâts sur mon appareil. Une belle entaille dans mon aile gauche où l’on distinguait tous les coups d’hélice. C’est alors que mon leader me posa la question qu’il ne fallait pas poser à savoir : – C’est moi qui t’ai fait ça ? Je me souviens lui avoir répondu : – Non, c’est le Saint-Esprit !

Mon aile entaillée vue de l'intrados

Pour sa défense, il faut dire qu’il avait aussi les rotules qui flageolaient tout en me confiant qu’il avait eu une panne radio et qu’il ne s’était pas aperçu en tripotant les boutons du poste qu’il partait en virage.

Et nos observateurs dans cette histoire ? Eh bien nous les avions tout simplement oubliés. Ce n’est que quand le calme est revenu et que l’attroupement s’est dispersé que nous avons aidé nos amis à se dessangler et à quitter leur sièges. Au mien, un peu pâlot, à qui je demandais comment il avait vécu ces instants, il m’avoua qu’il pensait tout simplement que je lui offrais une séance de voltige.

Le mot de la fin revient au pompier qui était chargé du canon à mousse. En enlevant son casque, il m’apostropha en alsacien en me demandant si je n’étais pas de Wintzenheim par hasard ? Je lui répondais que si ! Et il me confia qu’on était du même village et que sa fiancée était une très bonne amie de ma sœur Chantal. Il s'appelait Danny Levy et était peintre en bâtiment. Et c’est ainsi que, bien que ne voulant pas affoler mes parents, une bonne partie du village fut mise au courant de cet incident les jours suivants.

Enfin en regagnant la salle OPS, mon chef de peloton s’approcha de moi et quittant son air sévère habituel, il me mit la main sur l’épaule et m’envoya ces quelques mots qui font du bien : – C’est bien petit, tu t’en es bien tiré ! J’étais pilote appelé CPAP (n° 542) mon indicatif était Picpus 25 et j’étais fier d’appartenir au PMAH de la 19ème DI.

Pour faire passer la pilule, sans attendre je repartais en mission dès l’après-midi avec tout de même une certaine appréhension. Mais le plus dur fut de régler la note au bar le soir du 8 mai 1962, car même en étant maréchal-des-logis, ma solde d’appelé ce soir-là en avait pris un fameux coup ! Fort heureusement, la maison faisait crédit. Ensuite il y a eu la commission d’enquête, et là ce ne fut plus drôle du tout ! 


CPAP
Brevet de pilote des appelés signifiant Certificat Provisoire d'Aptitude au Pilotage.

ALAT
Aviation Légère de l’Armée de Terre. Il faut savoir que l’ALAT est rattachée à l’Armée de Terre et non à l’Armée de l’Air. D’où par exemple mon grade de Maréchal des Logis et non de Sergent.

FLN
Front de Libération Nationale : parti politique armé revendiquant l’indépendance de l’Algérie.

OPS
Définition des opérations et/ou opérationnels

PMAH
Peloton Mixte Avion et Hélicoptère

19ème DI
Signifie que le PMAH est rattaché à la 19ème Division d’Infanterie.

L-19
est le type d’appareil anti- guérilla utilisé pour traquer le FLN à basse altitude et baliser grâce aux roquettes fumigènes le guidage des tirs des chasseurs et/ou bombardiers. Le L19E est un avion extraordinaire avec énormément de ressources. Pour preuve il a été largement utilisé au Vietnam, entre autres pour la recherche de pilotes abattus (voir photo)

HF
Haute Fréquence utilisée pour le contact des troupes au sol et moyens aériens. Les fréquences étaient modifiées distinctement pour toutes les opérations

VHF
Very High Frequence utilisée pour les contacts avec la Tour de Contrôle. Autorisation décollage/approche /atterrissage etc...

Source : Jean-Pierre Meyer, PMAH 19ème DI


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